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Luc. Et puis le ſpectacle, & puis le ſouper, & puis le bal ; voilà ce qui s’appelle jouir de la vie. Que ma tante eſt heureuſe ! enfin j’aurai mon tour.

Dor. En attendant, il faudroit acquérir des talents ; ſi l’on ſe laſſe des ſpectacles, ſi le bal fatigue, ſi l’on ſe dégoûte du grand monde, il eſt doux alors de pouvoir ſe ſuffire à ſoi-même.

Luc. Mais voyez ma tante : elle a conſervé tous les goûts de la premiere jeuneſſe ; pourquoi n’aurois-je pas la même conſtance ? & pourquoi par une étude pénible me livrer à un ennui certain, pour me procurer des reſſources éloignées dont je n’aurai peut-être jamais beſoin ?

Dor. Mais Madame votre tante elle-même ne ſe plaint-elle pas tous les jours de l’education négligée qu’elle a reçue ? Elle ſe livre à la diſſipation, plus par habitude que par goût.

Luc. Il eſt vrai qu’elle bâille à la Comédie, qu’après tous ſes déjeûners elle a des vapeurs, & toujours ſa migraine quand elle a été au bal de l’Opéra. Oui, cela eſt vrai — je ſens bien que les talents & l’inſtruction peuvent être de quelque utilité — & puis paſſer pour ignorante, cela eſt humiliant, cela me répugne, je l’avoue. (Elle tombe dans la rêverie.)

Dor. Vous rêvez ?

Luc. Oui, je me ſens des mouvements de raiſon qui m’attriſtent ; vous venez de me dire des choſes qui m’ont frappées. — Pourquoi, ma chere amie, ne m’avez-vous pas toujours parlé de cette maniere ?

Dor. Mais je ne veux pas vous attriſter, ni vous contrarier.