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Vrai, quand on a assisté à l’un de nos grands soupers de bal, quand on a vu ces frêles beautés à l’ouvrage, quand on a mesuré de l’œil ce qu’elles ont englouti de jambons, de pâtés, de volailles, de sautés de perdreaux et de gâteaux de toute espèce, on a le droit d’exiger d’elles des bras plus ronds et des épaules mieux réussies. Pauvres sylphides, en retournant chez elles, leur âme retrouve donc bien des chagrins !… car il faut plus d’une peine pour neutraliser les bienfaits nutritifs de pareils repas ! Un homme d’esprit a dit : « Les femmes ne savent pas le tort qu’elles se font en mangeant. » Et il a bien raison ; rien de plus désenchantant que de voir une femme belle et parée manger sérieusement. L’appétit n’est permis aux femmes qu’en voyage. Dans un salon, il faut qu’elles soient petites-maîtresses avant tout ; et une petite-maîtresse ne doit prendre au bal que des glaces, ne doit choisir que des fruits et des friandises. Cela nous rappelle ce mot d’un enfant qui entendait sa mère retenir à déjeuner son maître d’écriture, et qui voulait l’inviter aussi à sa manière. « Oh ! restez, monsieur, disait-elle (c’était une petite fille), je vous en prie : je n’ai jamais vu manger un maître d’écriture ! » Sans doute, elle se figurait qu’un maître d’écriture devait manger des choses extraordinaires, des pains à cacheter peut-être, ou toute autre chose de son art. Eh bien, nous, nous sommes un peu comme elle : il nous semble qu’une élégante ne doit se nourrir à l’œil que de parfums, de fruits et de fleurs.

Il y a des merveilleuses qui savent adroitement concilier les plaisirs défendus et les privations ordonnées ; ainsi elles vont au bal, elles y dansent, mais elles y jeûnent ; si le bal a lieu un samedi, elles se privent de gâteaux et de glaces jusqu’à minuit ; après minuit, c’est dimanche ; quelques-unes, plus ingénieuses, se permettent les glaces aux fruits ; les glaces aux fruits sont considérées comme une boisson ; mais jamais elles ne se permettraient des glaces à la crème. Oh ! jamais ! le lait étant généralement considéré comme une nourriture. Elles dansent… mais elles ne se permettent pas non plus toutes les danses ; il y a les danses des jours gras et les danses des jours maigres ; ne confondez pas ; cela ressemble au joli mot de la duchesse de M… On parlait d’un bal d’artistes qui devait être donné aux Variétés. — Dans la salle des Variétés ? demanda quelqu’un. — Non, pas dans la salle, reprit une autre personne ; on ne dansera que dans le foyer, à cause du carême. — Ah ! dit la duchesse, le foyer est maigre ?