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se dévouer à être toujours vêtue humblement ; vous ne savez pas à quelles innombrables et irrésistibles tentations il lui faut à tout moment résister ! En fait de parure, être sage, c’est être sublime ! Passer devant une boutique engageante et voir suspendu derrière la glace un délicieux ruban bleu de ciel ou lilas, un ruban provocateur, qui vous excite à l’admirer ; dévorer du regard cette proie charmante ; bâtir toute sorte de châteaux en Espagne à son sujet ; se parer en idée de ses nœuds coquets et se dire : « Je mettrai deux rosettes dans mes cheveux ; le grand ruban sera pour la ceinture, le plus petit servira pour la pèlerine et pour les manches… » et puis tout à coup s’arracher violemment à ces coupables rêveries, se les reprocher comme un crime et fuir courageuse et désolée loin du ruban tentateur, sans même vouloir le marchander : cela seul demande plus de force d’âme que les plus terribles combats ; et ce mot plein de stoïque résignation et de noble humilité que nous avons entendu l’autre jour nous a plus touché le cœur que toutes les belles paroles des héroïnes de Sparte et de Rome. Une femme devait aller à un bal, à une fête magnifique ; elle était occupée à choisir des fleurs. Après avoir admiré ces couronnes à la mode qui sont si jolies, dont la forme est si gracieuse, elle en demanda le prix. Les belles fleurs fines sont très-chères cette année, et ce prix trop élevé l’effraya. Alors, posant tristement la couronne de roses sur le comptoir, elle dit avec un soupir : « C’est trop cher ; je mettrai ma vieille guirlande ! »

Ma vieille guirlande ! Sentez-vous ce qu’il y a de douleur et de poignante résignation dans ces deux mots : ma vieille guirlande ! Cela fait venir les larmes aux yeux.

Oui, les femmes ont perdu en attraits tout ce qu’elles ont gagné en qualités. Chose étrange ! elles ont plus de valeur, elles ont moins de puissance ; c’est que leur puissance, à elles, n’est point dans l’activité qu’elles déploient, mais dans l’influence qu’elles exercent ; les femmes ne sont point faites pour agir, elles sont faites pour commander, c’est-à-dire pour inspirer : conseiller, empêcher, demander, obtenir, voilà leur rôle ; agir, pour elles, c’est abdiquer.


Leurs goûts en littérature. — C’est à la douce influence des femmes que nous devons les horreurs à la mode. Ces adorables créatures aiment les crimes, les descriptions détaillées des lieux infâmes ; on les sert selon leur goût. Vous criez contre les auteurs et contre les journa-