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sur des canons, des boulets, des vaisseaux… Oui, je voudrais vous peindre tout cela : — le jardin des Tuileries d’un côté, les Champs-Élysées et l’Arc de triomphe de l’autre, l’église de la Madeleine à droite, la Seine couverte de bateaux et la Chambre des députés à gauche ; mais aucune parole ne peut vous donner l’idée de cette place immense. Autant dire tout de suite que c’est une merveille du monde, et que, dans cette merveille, tout ce qu’il y a de riche en voitures, en cavaliers, en dames, vont, viennent, se promènent et se regardent pour voir lesquels ont les plus beaux chevaux, les plus beaux plumets et les plus belles robes.

Le long de l’avenue des Champs-Élysées vous découvrez, à travers le feuillage, des centaines de maisons où les millionnaires demeurent, et plus loin, sur l’autre rive du fleuve, à gauche, l’hôtel des Invalides, son dôme dans les nues.

Sous les arbres, on voit aussi de petits théâtres pour les enfants, des chevaux de bois, des jeux de toutes sortes, des hercules, des ménageries ; enfin c’est une fête depuis le premier de l’an jusqu’à la Saint-Sylvestre.

Nous allions à travers tout cela. Nous voyions des statues en marbre de tous les côtés, dont je me rappelle principalement deux à l’entrée de la grande avenue, représentant deux hommes superbes et nus, qui tiennent par la bride des chevaux sauvages dressés sur les pieds de derrière, les jarrets pliés, la crinière droite, prêts à s’échapper

Emmanuel me prévint que c’étaient des chefs-d’œuvre, et je n’eus pas de peine à le croire.

Mais le plus beau c’est l’Arc de triomphe qui s’élève au bout de l’avenue, tout gris à force d’être loin, et pourtant superbe, avec ses lignes pâles dans le ciel, et ses voûtes, où des maisons pourraient passer.

Tout est beau, tout est grand dans cet arc de triomphe : nos victoires, qui y sont écrites partout, et qui font des listes de cinquante mètres ; la beauté de l’idée, la beauté des pierres, la beauté du travail, la beauté de la grandeur et la beauté des sculptures. Quatre de ces sculptures sont en dehors, sur des socles, appuyées contre les arches, et, d’après ce qu’Emmanuel me dit, elles représentent, du côté de Paris, la Guerre, sous la figure d’une femme que les soldats portent dans leurs bras, et qui crie : « Aux armes ! » Cela vous fait dresser les cheveux sur la tête. En regardant cette femme, on l’entend, on croit que les Russes et les Prussiens arrivent ; on voudrait courir dessus et tout massacrer.