Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ayant donc regardé cette place, qui ressemblait aux foires de village, Emmanuel me prit par le bras, en disant : « Arrive ! »

En dehors de la cour du Louvre, à gauche, s’étendait la continuation de la bâtisse, et dans la cour se trouvait une porte assez haute, où des gens bien mis entraient.

« Avant d’aller déjeuner, il faut que tu voies le musée de peinture, me dit-il, nous en avons pour une heure. »

J’étais bien content de voir un musée ; j’avais seulement entendu parler de musée, sans savoir ce que cela pouvait être.

Dans le vestibule commençait une voûte qui se partageait en plusieurs autres, fermées par de grandes portes en châssis tendues de drap vert. Contre une de ces portes, à gauche, était assis un suisse, que je pris d’abord pour quelque chose de considérable dans le gouvernement, à cause de son magnifique chapeau à cornes, de son habit carré, de sa culotte de velours rouge, de ses bas blancs et de son air grave ; mais c’était un suisse ! J’en ai vu d’autres habillés de la même façon. Ils restent assis, ou se promènent de long en large pour se dégourdir les jambes : — c’est leur état.

Une dame recevait les cannes et les parapluies dans un coin, moyennant deux sous.

À droite s’élevait un escalier, large d’au moins cinq mètres, avec des peintures dans les voûtes. On avait du respect pour soi-même en montant un escalier pareil ; on pensait : « Je monte… personne n’a rien à me dire !… »

Mais tout cela n’était rien encore. C’est en haut qu’il fallait voir ! D’abord, ce grand salon éclairé par un vitrage blanc comme la neige, d’où descendait la lumière sur des peintures innombrables, tellement belles, tellement naturelles, qu’en les regardant vous auriez cru que c’étaient les choses elles-mêmes : les arbres, la terre, les hommes, au printemps, en automne, en hiver, dans toutes les saisons, selon ce que le peintre avait voulu représenter.

Voilà ce qui s’appelle une véritable magnificence ! Oui, quand on pense qu’avec de la toile et de la couleur les hommes sont arrivés à vous figurer tous les temps, tous les pays, tous les êtres, au lever et au coucher du soleil, à la lune, sur terre et sur mer, dans les moindres détails, c’est alors qu’on reconnaît le génie de notre espèce et qu’on s’écrie : « Heureux ceux qui reçoivent de l’instruction, pour laisser de pareilles œuvres après leur mort et nous enorgueillir tous !… »