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laisse aucun regret après lui. » Disons encore, avec la Romiguière, « qu’il ne vieillit pas, » et ajoutons, pour notre compte, qu’il empêche la raison de vieillir.

Beaucoup de gens s’inscrivent contre ces vérités ; qu’importe ? Ceux-là n’ont pas réfléchi au sens exact qu’il faut donner à ce mot esprit, qui ne signifierait rien s’il méritait les étranges et très-variées significations que tous les jours on lui donne.

Pour un grand nombre de bonnes gens, pour tous ceux qui font, d’instinct, obstacle à l’esprit, il semble qu’esprit et légèreté soient synonymes et qu’aujourd’hui comme au moyen âge l’homme d’esprit ne puisse prétendre qu’à l’emploi des comiques, qu’à être, non le bouffon de quelqu’un, — de nos jours, les rois, dit-on, n’ont plus de fous à leur cour, — mais le bouffon de tous.

Il a dû arriver à quelques hommes d’esprit, dans nos temps agités, de se dévouer à quelque noble cause, de s’y consacrer entièrement et de mourir en la servant. Savez-vous ce qu’ils auront gagné à ce généreux sacrifice ? « Tous les gens d’esprit ont décidément la tête à l’envers, dira-t-on. De quoi diable se mêlent-ils, je vous prie ? » Et ce sera là toute l’oraison funèbre que leur feront les gens bienveillants. Les malveillants ne s’en tiendront pas là. « Hum ! diront-ils, à qui fera-t-on croire que, sous ce prétendu héroïsme, il n’y eut pas quelque intérêt caché ? Ils ont manqué leur but ; ils sont punis par où ils ont péché ; c’est bien fait. »

Le malheur de l’esprit, dans nos sociétés modernes, c’est qu’il ne pose pas ; c’est que les périodes qui charment les niais, c’est que les phrases et les cols empesés l’agacent ; c’est qu’il parle, en un mot, et ne déclame jamais ; c’est enfin que, pour les gens d’esprit, le sérieux est au fond, tandis que, pour les sots, il est à la surface.

De là ce grand, cet inextricable malentendu qui ne finira que quand la majorité des Français saura qu’on peut être plus frivole en faisant un sermon qu’en regardant voler une mouche.

On me passera de ne pas appeler gens d’esprit ceux qui n’ont d’esprit que ce qu’il en faut pour émerveiller les bavards et pour amuser et abuser les sots. Ce ne sont là que joueurs de gobelets et instrumentistes de place publique ; leurs variations et leurs tours de force ne sont qu’affaire de saltimbanques. L’esprit et la raison ne sauraient avoir ni deux bureaux, ni deux plumes. Ce qui n’est pas tous les deux n’est ni l’un ni l’autre.

J’en dis autant de l’esprit et de la conscience. Un coquin, si spirituel