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La vie, qui jadis se défrayait à mille écus, n’est pas aujourd’hui si abondante à dix-huit mille francs

La pièce de cent sous est devenue beaucoup moins que ce qu’était jadis le petit écu !

Mais aussi, vous avez des cochers de fiacre en livrée qui lisent, en vous attendant, un journal écrit sans doute exprès pour eux.

Mais aussi l’État a eu le crédit d’emprunter le capital de quatre fois plus de rentes que n’en devait la France sous Napoléon.

Enfin, vous avez l’agrément de voir sur une enseigne de charcutier : « Un tel, élaive de M. Yéro, » ce qui vous atteste le progrès des lumières.

La Débauche n’a plus son infâme horreur, elle a sa porte cochère, son numéro rouge feu qui brille sur une vitre noire. Elle a des salons où l’on choisit comme au restaurant, sur la carte, entre Sémiramis, Dorine, l’Espagne, l’Angleterre, le pays de Caux, la Brie, l’Italie ou la Nigritie. La police a soufflé sur tous les romans en deux chapitres et en plein vent.

On peut se demander, sans insulter Son Altesse impériale l’Economie politique, si la grandeur d’une nation est attachée à ce qu’une livre de saucisses vous soit livrée sur du marbre de Carrare sculpté, à ce que le gras-double soit mieux logé que ceux qui en vivent !

Nos fausses splendeurs parisiennes ont pour produit les misères de la province ou celles des faubourgs. Les victimes sont à Lyon, et s’appellent des canuts. Toute industrie a ses canuts.

On a surexcité le besoin de toutes les classes, que la vanité dévore. Le quo non ascendam de Fouquet est la devise des écureuils français, à quelque bâton de l’échelle sociale qu’ils fassent leurs exercices. Le politique doit se demander, avec non moins d’effroi que le moraliste, où se trouve la rente de tant de besoins. Quand on aperçoit la dette flottante du Trésor, et qu’on s’initie à la dette flottante de chaque famille qui s’est modelée sur l’État, on est épouvanté de voir qu’une moitié de la France est à découvert devant l’autre. Quand les comptes se régleront, les débiteurs avaleront les créanciers.

Telle sera la fin probable du règne dit de l’Industrie. Le système actuel, qui n’a placé qu’en viager, en agrandissant le problème, ne fait qu’agrandir le combat. La haute Bourgeoisie offrira plus de têtes à couper que la Noblesse ; et si elle a des fusils, elle aura pour adversaires ceux qui les fabriquent. Tout le monde aide à creuser le fossé, sans doute pour que tout le monde y tienne.