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l’oubli ; leur apprendre que si la femme aimée n’est pas pour celui qui l’aime une seconde conscience devant laquelle il lui soit impossible de faillir, c’est qu’elle ne vaut pas d’être aimée ; que la règle, en ceci comme en tout, n’a point à s’occuper de l’exception ; leur crier cette vérité digne du catéchisme que la passion n’a pas de bonne issue, qu’il n’y a qu’un lâche qui consente à entrer dans la vie d’une femme pour l’empirer, et que ce n’est pas parce que cette lâcheté est quotidienne, parce qu’elle a glissé dans les mœurs qu’elle est moins coupable ; leur dire et leur redire que pour commencer il ne faut jamais, non, jamais, aimer les femmes des autres, que pour un galant homme le bonheur et l’honneur d’autrui doivent être plus sacrés mille fois que son argent, que les escroqueries du cœur sont aussi honteuses que l’effraction des caisses ; qu’il n’est point de sophisme qui puisse tenir contre ces vérités ; que le mal commence aussitôt que le bien finit ; qu’entre l’amour de Roméo pour Juliette et celui de Desgrieux pour une Manon quelconque il n’y a pas plus de compromis possible qu’entre l’honneur et l’ignominie, pas plus de relation qu’entre ce qui est noble et ce qui est vil ; révéler aux jeunes gens qui se croient précoces que le bien n’a jamais eu l’air aussi bête que le mal, que la morale a toujours été pleine d’esprit, puisque depuis que le monde est monde il a toujours été impossible au plus vicieux d’avoir raison contre elle, qu’elle est le bon sens et la santé du cœur, partant sa bonne humeur et même sa gaieté ; que le vice n’est qu’un grand sot, qu’il est laid, qu’il est niais, qu’il est malsain, qu’il n’a à cacher et à montrer que des plaies, que des ordures ; que les plaisirs, d’où le cœur et le goût sont absents n’ont jamais amusé que des imbéciles, qu’ils ne sont que mensonges, qu’ils sont grossiers, qu’ils mènent à mal, jamais à bien ; qu’à leur régime, enfin, on n’a jamais rien gagné, sinon la plus incurable des infirmités : la gastrite morale, cette fausse faim qui désire tout et ne digère ni ne supporte rien : — voilà ce que de vieilles âmes convaincues ont le devoir de faire entendre aux générations nouvelles, voilà ce que leur diront les poëtes nouveaux qui voudront placer haut leur talent. La Courtille n’est pas le Parnasse. Il n’y a pas de muses dans les ruisseaux ; il ne s’en trouve pas davantage dans les ruelles, et je sais de bonne part qu’il s’en égare rarement dans les cabinets particuliers.

Ce que je dis là, il n’est aucun de ceux qui se sont trompés avec nous qui ne soit pas prêt à le signer au fond de sa conscience. J’en atteste les morts aussi bien que les vivants, les soldats aussi bien que les