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dans leur assiette ; ils ont l’aspect d’acteurs sifflés, il n’en est pas un qui, en descendant de voiture, ne se soit dit : « Nous allons bien rire, mon entrée fera sensation. Je n’ai parlé de costume à personne, ce sera divin ; » — et tous ces gens qui ont enfilé des culottes impossibles, qui ont étudié leurs gestes dans la glace, qui ont cherché un costume à pouffer de rire et ont accumulé sur leur corps les détails les plus spirituels, qui se sont fait farder, friser, poudrer, qui se sont mis à la torture dans des cols en carton, dans des cuirasses en fer-blanc, dans des bottes de gendarme, tombent au milieu de cette foule comme une goutte d’eau dans une cuvette pleine. Ils rentrent dans le grand tout. On les presse, on les heurte, on leur marche sur les pieds, personne n’a ri, personne ne les a vus. Il est des volées de coups de bâton qui sont moins cuisantes. Peu à peu les lustres leur paraissent pâles, ils sont désillusionnés et ne pardonnent point aux autres d’éprouver les mêmes sensations, qu’eux.

Je ne connais rien au monde de plus comique que le monsieur qui a fait des frais, réfugié dans un petit coin, assis sur un bout de banquette, souffreteux, l’air triste et grignotant une glace en s’essuyant le front. J’ai aperçu un fou couvert de sonnettes des pieds à la tête ; son valet de chambre, en lui présentant ses gants et sa marotte, se tenait les côtes pour ne pas éclater ; eh bien, ce pauvre fou se faufilait au milieu du bal comme une ombre qui a des remords ; il glissait plutôt qu’il ne marchait, dans la crainte d’agiter ses sonnettes. Il eût donné vingt louis pour pouvoir éternuer à son aise et sans vacarme.

Il est à remarquer qu’en général les hommes qui se costument endossent précisément les vêtements qui font le mieux ressortir leurs défauts physiques. Ce que je dis pour les hommes est aussi vrai pour les femmes. Est-ce une gageure ? est-ce le hasard ? Je faisais ces réflexions lorsqu’un flot de danseurs me poussa dans le salon bleu, et je me trouvai pressé contre la boiserie dans les plis d’un rideau, derrière un groupe de dames, dont l’une se leva pour prendre le bras de son danseur. Son dos effleura mon nez et j’éprouvai une sorte de petit frémissement assez semblable à celui que l’on ressent en coupant un citron. Il y a des épaules satinées dont le voisinage me procure cette sensation. Décolletée extrêmement, mais pas trop, je vous jure, à peine assez, son corsage en satin blanc, qu’elle faisait semblant de relever d’un petit geste pudique, bridait un tant soit peu la naissance de son bras, en sorte qu’il y avait