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C’est de neuf heures du soir a minuit qu’il baille le plus volontiers. Il y a là dans sa vie un temps d’arrêt, il éprouve parfois une sorte de langueur. Fort heureusement l’idée qu’il va refaire un petit bac prochainement le soutient un peu et tant bien que mal il arrive à minuit sans avoir trop souffert ; à partir de cette heure il est sauvé. Le club s’emplit, on s’assoit lentement autour d’une grande table, le chapeau sur la tête, et l’on met la banque aux enchères, au milieu des éternelles discussions sur le tirage à cinq et les mille arrangements qui précèdent la partie.

Le petit de B… n’est point un joueur fou, et ce n’est pas lui qu’on verra partir pour les cent mille sans dire gare. Il se possède, et n’ayant pas de tempête dans le cœur ni d’orage dans l’esprit, il joue tout simplement pour jouer et gagner de l’argent en homme bien élevé. S’il attrape une culotte, soyez sûr qu’elle sera faible, qu’il saura s’arrêter à temps et attendre un sourire de la fortune pour se refaire. Du reste, il rentre dans la catégorie des pontes féticheurs — on devient légèrement superstitieux lorsqu’on est en compte courant avec le hasard. — Jamais, au grand jamais, le petit de B… ne se servira du râteau. Il a, tout exprès pour cet usage, sa canne de jeu, dont il se sert coquettement. Il est aussi certains individus qu’il ne peut souffrir derrière ou devant lui lorsqu’il a les cartes à la main. Il est convaincu que ces individus lui porteront la guigne, et, comme il est prudent, il s’abstient en leur présence.

Ce qu’il a de merveilleux, c’est le sang-froid et le tact ; en aucune circonstance il ne se désespère, et, serait-il culotté pour de bon, il trouve encore moyen de repasser sa culotte à quelque joueur d’écarté ou de piquet, qu’il choisit toujours avec un extrême bonheur. Avant de s’asseoir, il examine la partie, attend en causant le moment opportun, et s’il taille une banque, c’est que le ponte a perdu la tête. La chance est-elle mauvaise ? — il s’arrête tout net ; — son gain est-il respectable ? — il s’arrête avec la même facilité, laissant les culottés se culotter entre eux, tandis qu’on lui sert deux œufs brouillés aux truffes.

D’après ces quelques mots, vous pouvez vous faire une idée juste de ce qu’est la vie du petit Chose : — personne n’a des habitudes plus régulières que les siennes. Ce qu’il fait un jour, il le fera le lendemain. Mais j’oublie de vous dire l’heure à laquelle il se couche : cela varie un peu… entre sept heures et sept heures et demie du matin, mais il est bien rare qu’à huit heures sonnant il ne soit point au lit.

N’allez pas croire, après tout cela, que le cœur et l’esprit du petit de B… soient absolument vides ; que ce soit un écervelé, un viveur, un