Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! pour ça, reprit-elle, un louis, c’est assez…

— Et comment ?

— J’ai tous les bijoux de la mère ; et, de trois mois en trois mois, elle est dans ses petits souliers, allez ! elle est bien embarrassée de me trouver les intérêts de ce que je lui ai prêté. Vous voulez vous marier par là, jobard ?… dit-elle ; donnez-moi quarante francs, et je jaserai pour plus de cent écus. »

Mon peintre fit voir une pièce de quarante francs, et nous sûmes des détails effrayants sur la misère secrète de quelques femmes dites comme il faut. La revendeuse, mise en gaieté par notre conversation, se dessina. Sans trahir aucun nom, aucun secret, elle nous fit frissonner en nous démontrant qu’il se rencontrait peu de bonheurs, à Paris, qui ne fussent assis sur la base vacillante de l’emprunt. Elle possédait dans ses tiroirs des grand’mères, des enfants, des défunts maris, des petites-filles mortes et entourées d’or et de brillants. Elle apprenait d’effrayantes histoires en faisant causer ses pratiques les unes sur les autres, en leur arrachant leurs secrets dans les moments de passion, de brouilles, de colères, et dans les préparations anodines que veut un emprunt pour se conclure.

« Comment avez-vous été, dis-je, amenée à faire ce commerce ?

— Pour mon fils, » dit-elle avec naïveté.

Presque toujours, les revendeuses à la toilette justifient leur commerce par des raisons pleines de beaux motifs. Mme Nourrisson se posa comme ayant perdu plusieurs prétendus, trois filles qui avaient très-mal tourné, toutes ses illusions, enfin. Elle nous montra, comme étant celles de ses plus belles valeurs, des reconnaissances du mont-de-piété pour prouver combien son commerce comportait de mauvaises chances. Elle se donna pour gênée au Trente prochain. On la volait beaucoup, disait-elle.

Nous nous regardâmes en entendant ce mot un peu trop vif.

« Tenez, mes enfants, je vas vous montrer comment l’on nous refait ! Il ne s’agit pas de moi, mais de ma voisine d’en face, Mme Mahuchet, la cordonnière pour femmes. J’avais prêté de l’argent à une comtesse, une femme qui a trop de passions eu égard à ses revenus. Ça vous a de beaux meubles, un magnifique appartement ! ça reçoit, ça fait, comme nous disons, un esbrouffe du diable. Elle doit donc trois cents francs à sa cordonnière, et ça donnait un dîner, une soirée, pas plus tard qu’avant-hier. La cordonnière, qui apprend cela par la cuisinière, vient me