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VOYAGE EN ESPAGNE.

core tout vu ; des volumes ne suffiraient pas à en faire seulement le catalogue. Les sculptures en pierre, en bois, en argent, de Juan de Arfé, de Joan Millan, de Montañes, de Roldan ; les peintures de Murillo, de Zurbaran, de Pierre Campana, de Roëlas, de don Luiz de Villegas, des Herrera vieux et jeune, de Juan Valdès, de Goya, encombrent les chapelles, les sacristies, les salles capitulaires. L’on est écrasé de magnificences, rebuté et soûl de chefs-d’œuvre, on ne sait plus où donner de la tête ; le désir et l’impossibilité de tout voir vous causent des espèces de vertiges fébriles ; l’on ne veut rien oublier, et l’on sent à chaque minute un nom qui vous échappe, un linéament qui se trouble dans votre cerveau, un tableau qui en remplace un autre. L’on fait à sa mémoire des appels désespérés, on recommande à ses yeux de ne pas perdre un regard ; le moindre repos, les heures des repas et du sommeil, vous semblent des vols que vous vous faites, car l’impérieuse nécessité vous entraîne ; et bientôt, il va falloir partir, le feu flambe déjà sous la chaudière du bateau à vapeur, l’eau siffle et bout, les cheminées dégorgent leur blanche fumée ; demain, vous quitterez toutes ces merveilles, pour ne plus les revoir sans doute !

Ne pouvant parler de tout, je me bornerai à mentionner le Saint Antoine de Padoue de Murillo, qui orne la chapelle du baptistère. Jamais la magie de la peinture n’a été poussée plus loin. Le saint en extase est à genoux au milieu de la cellule, dont tous les pauvres détails sont rendus avec cette réalité vigoureuse qui caractérise l’école espagnole. À travers la porte entr’ouverte, l’on aperçoit un de ces longs cloîtres blancs en arcades si favorables à la rêverie. Le haut du tableau, noyé d’une lumière blonde, transparente, vaporeuse, est occupé par des groupes d’anges d’une beauté vraiment idéale. Attiré par la force de la prière, L’Enfant Jésus descend de nuée en nuée et va se placer entre les bras du saint personnage, dont la tête est baignée d’effluves rayonnantes et se renverse dans un