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mordre à cette explication si plausible. Car il avait vu, de ses yeux vu, un pan d’habit disparaître dans le cabinet, qu’il voulut ouvrir à toute force.

Il en sortit un mousquetaire rouge de la plus belle venue, qui n’avait pas l’air le moins du monde déconcerté, et qui expliqua à Bafogne qu’il était le cousin de Mlle Desobry, personne fort respectable, et qu’il entendait qu’on traitât avec les plus grands égards ; sinon, il jurait son grand sacrebleu qu’il couperait les deux oreilles au faquin qui lui manquerait.

Le financier, qui ne brillait pas précisément par l’héroïsme, et tenait à conserver ses oreilles, quoiqu’elles fussent longues, lança à la Desobry un regard de travers, comme celui des boucs dont parle Virgile ; mais il ne sonna mot et se retira en fermant les portes avec fracas, laissant le champ libre au mousquetaire et à la donzelle, qui riait impertinemment aux éclats.

Telle fut la soirée du traitant Bafogne.

Le commandeur de Livry, pour se consoler, dévora presque entière une hure de sanglier aux pistaches qui le faillit étouffer, bien qu’il l’eût arrosée de nombreux rouge-bords et qu’il possédât un estomac d’autruche, célèbre pour sa capacité digestive.

La nuit, il eut un cauchemar affreux. Le sanglier dont il avait mangé la hure, sinistrement décapité, piétinait sur sa poitrine et tâchait de l’écraser en se roulant sur lui.

Ce songe alarma beaucoup le commandeur, qui consulta Tronchin.

Le célèbre docteur répondit en souriant :

« Ce rêve signifie que le sanglier est lourd et que vous aurez une indigestion si vous en mangez encore. »

Quant au chevalier, il était de si mauvaise humeur, si aigre, si cassant, qu’il se fit, dans les coulisses de l’Opéra, une querelle avec Versac, on prit l’heure pour se battre, et le chevalier reçut à la joue une esta-