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ce qu’ils ont mangé, mais si madame y tient nous ferons nos efforts… »

« Ah ! grands dieux ! soupira Rosette en lisant le fatal rapport, une grisette est encore pire qu’une bourgeoise ; » et, se laissant aller en arrière, elle perdit connaissance ; on ne put la faire revenir qu’avec l’eau de la reine de Hongrie et les gouttes du général la Mothe, souveraines dans ces occasions.



XIX


Le caprice de Mme de Champrosé de se transformer en Jeannette devait troubler plus d’un cœur.

Le sensible droguiste de la rue Sainte-Avoye avait reçu au bal du Moulin-Rouge une flèche de Cupidon en pleine poitrine. L’on n’ignore pas que ce petit dieu tire sur les mortels avec des flèches de deux sortes.

Les premières ont des pointes d’or, les secondes des pointes de plomb, les unes inspirent l’amour, les autres l’antipathie, ou tout au moins la froideur.

Le malheureux droguiste était si traversé par une des premières, que le dard lui sortait par le dos, tant la corde avait été bien tendue et l’arc bien bandé. Une des secondes avait été dirigée sur Mme de Champrosé, qui se souciait du droguiste non plus que s’il n’eût pas été du monde.

Être l’héritier présomptif d’une belle droguerie, rue Sainte-Avoye, à l’enseigne du Mortier d’argent, et mourir d’amour pour une grisette sans le sou, c’est une position humiliante et triste.

C’était celle du jeune Rougeron, l’Alcibiade, l’Amil-