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pas homme à lâcher le toupet de l’occasion lorsqu’il le tenait.

Il suivit Jeannette pour l’aider à monter l’escalier, bien qu’elle prétendît le pouvoir faire aisément toute seule, les grisettes n’ayant point d’écuyer pour leur tendre le poing.

Avec une insistance douce quoique opiniâtre, M. Jean, en dépit de la révérence que lui fit Jeannette, arrivée à sa porte, pénétra dans la chambre d’un air si candide, si décent, si réservé, que Mme de Champrosé ne le put trouver mauvais.

« Ah ! que dira Justine, pensa la marquise ; dès la seconde entrevue, l’ennemi est déjà dans la place et mon cœur bat la chamade. »

Un peu fatiguée de sa course et plus émue qu’elle n’osait se l’avouer, Mme de Champrosé se laissa tomber dans l’antique bergère, s’éventant de son mouchoir, quoi qu’il ne fît pas très chaud.

Prenant un petit tabouret, M. Jean vint s’établir aux pieds de Jeannette, ce qui n’était pas si gauche, se dit la marquise, pour quelqu’un d’Auxerre ; car cette position si respectueuse en apparence, et qui se peut prendre vis-à-vis des reines, a cet avantage de ne se prêter pas moins aux audaces qu’aux adorations.

C’est d’un grand stratégiste dans la guerre de l’amour que de s’y mettre tout d’abord, et les Polybes de la chose l’ont toujours conseillé. C’est donc un coup de maître que de débuter ainsi.

« Vous êtes bien logée, mademoiselle Jeannette, dit M. Jean, en promenant son regard autour de lui.

— Oui, fit négligemment Jeannette, il y a assez de place pour travailler et pour chanter.

— Et pour aimer !

— Oh ! pour cela, je n’en sais rien ; ma tante Ursule avait des principes. Avec sa mine rébarbative, elle recevait les galants de Turc à Maure. »