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ce corset crénelé, et ses fortifications, qui ne résisteraient pas longtemps à la science moderne, ont cette apparence hérissée et farouche qui représente mieux la force et l’imagination que les défenses géométriques de Vauban. Des clochers dépassaient les hautes murailles et promettaient au touriste de curieuses églises à visiter. Aussi, nous nous promîmes bien de nous arrêter au retour, et nous en fîmes le serment « par saint Jean d’Avila, » le patron du lieu.

Tout près de las Navas-del-Marquès, nous admirâmes un tableau à faire la fortune d’un peintre s’il était bien rendu. En contre-bas du remblai, sur un vaste plateau de terre battue, des paysans séparaient le grain de la paille en poussant sur les gerbes couchées des chevaux, des mules, des bœufs forcés à une course circulaire. Ils se tenaient debout sur d’étroits strapontins comme les guerriers sur les chars antiques, dans des poses dignes des bas-reliefs d’Égine.

À partir de là, l’on commence à descendre vers la plaine où se trouve Madrid par des versants assez rapides, au milieu du plus étonnant chaos de blocs, du plus étrange tumulte de granit qu’on puisse imaginer. Tout cela est désordonné, convulsif, comme au lendemain d’un cataclysme cosmique. On se croirait sur un champ