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plupart des paradoxes, que le plus bel âge de la femme était soixante ans.

À cet âge, disait-elle, plus de vanités, plus de soucis, plus de jalousies féminines, plus de tourments, plus de regrets. On jouit de tout avec une sérénité charmante, des arts, de la nature, des amitiés ; une coiffure, une robe, ne vous font pas manquer l’ouverture du Prophète, et l’on peut se promener dans les bois sans songer aux rendez-vous, ni aux dieux sylvains.

Jusqu’au moment suprême son intelligence resta claire et calme ; ce fut le corps qui fit défaut et non l’âme, qui resta jeune toujours, et comme la science du bien vivre donne la science de bien mourir, sans emphase et sans terreur, elle voyait, plus souvent que d’ordinaire, depuis quelque temps, un digne prêtre de ses amis. La présence de cette robe noire eût pu alarmer des tendresses inquiètes qui s’acharnaient à l’espérance. Pour les rassurer, elle parlait de ces visites avec un enjouement chrétien, comme une précaution à tout hasard, et cela d’un ton si confiant, si détaché, que toute idée funèbre disparaissait.

La musique qu’elle avait tant aimée, s’assit à son chevet de mort comme un ange consolateur. Un jeune compositeur, à qui madame Sophie Gay s’intéressait, M. Renaud de Wilbach, lui jouait avec une complaisance filiale des mélodies d’un sentiment large et religieux, qui rassérénaient son âme, et endormaient ses souffrances. À son convoi la petite église de la Trinité était pleine du plus beau et du plus illustre monde. Quelques amis manquaient cependant : les uns étaient morts, les autres en exil !

(La Presse, 15 mai 1852.)