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PORTRAITS CONTEMPORAINS.

les curiosités de l’esprit, de cette spirituelle phalange. Le salon était fermé, elle est partie.

Madame Sophie Gay, fille de M. Nichault de Lavalette, est née à Paris, et, en effet, c’était là qu’elle devait naître, car personne ne fut plus parisienne : esprit parisien, grâce parisienne, élégance parisienne, tout en elle portait le cachet de Paris. Être de Paris, en France, c’est être d’Athènes dans l’Attique. Son père, homme de goût et de fine culture intellectuelle, comme pour lui donner le baptême de l’esprit, la fit embrasser à l’âge de deux ans par le vieux Voltaire, momifié dans sa gloire. Il semble que le vieillard de Ferney, approchant ses rides sarcastiques des joues roses de la petite fille, lui ait inoculé, par ce baiser, la lucide raillerie, le tour enjoué et libre, la raison pétillante, qui firent distinguer la femme jusqu’au bout de sa longue carrière. Pour tempérer à propos ce scintillement trop français de bons mois et de fines reparties, elle avait puisé dans le sang italien de sa mère, Francesca Peretti, une Florentine d’une rare beauté, un vif sentiment de la musique, un sincère amour et une intelligence passionnée des arts.

Le nom de cette belle Francesca Peretti, qui rappelait une illustration de l’Église, fit même dire à madame Émile de Girardin, qui n’attachait pas plus d’importance qu’il n’en fallait à cette légende de famille, devant des gens infatués de noblesse, et qui vantaient sans cesse leurs aïeux : — Moi aussi, qui ne déploie pas ma généalogie, j’ai un ancêtre. — Et quel est cet ancêtre ? — Un gardeur de cochons, Félix Peretti. — Sixte-Quint ? — Précisément. — Et l’on ne parla plus d’aïeux ce soir-là. La jeune Sophie de Lavalette fut élevée chez madame Leprince de Beaumont, le poète de la Belle et la Bête, du Prince charmant, du Magasin des Enfants ; madame Gay s’est sans doute souvenue de son institutrice en écrivant