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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de sérieux à répondre à une aversion aussi bien fondée. Ce n’est pas que je trouve les veuves tout à fait sans agrément, quand elles sont jeunes et jolies et n’ont point encore quitté le deuil. Ce sont de petits airs languissants, de petites façons de laisser tomber les bras, de ployer le cou et de se rengorger comme une tourterelle dépareillée ; un tas de charmantes minauderies doucement voilées sous la transparence du crêpe, une coquetterie de désespoir si bien entendue, des soupirs si adroitement ménagés, des larmes qui tombent si à propos et donnent aux yeux tant de brillant ! — Certes, après le vin, si ce n’est avant, la liqueur que j’aime le mieux à boire est une belle larme bien limpide et bien claire qui tremble au bout d’un cil brun ou blond. — Le moyen qu’on résiste à cela ! — On n’y résiste pas ; — et puis le noir va si bien aux femmes ! — La peau blanche, poésie à part, tourne à l’ivoire, à la neige, au lait, à l’albâtre, à tout ce qu’il y a de candide au monde à l’usage des faiseurs de madrigaux : la peau bise n’a plus qu’une pointe de brun pleine de vivacité et de feu. — Un deuil est une bonne fortune pour une femme, et la raison pourquoi je ne me marierai jamais, c’est de peur que ma femme ne se défasse de moi pour porter mon deuil. — Il y a cependant des femmes qui ne savent point tirer parti de leur douleur et pleurent de façon à se rendre le nez rouge et à se décomposer la figure comme les mascarons qu’on voit aux fontaines : c’est un grand écueil. Il faut beaucoup de charmes et d’art pour pleurer agréablement ; faute de cela, l’on court risque de n’être pas consolée de longtemps. — Si grand néanmoins que soit le plaisir de rendre quelque Artémise infidèle à l’ombre de son Mausole, je ne veux pas décidément choisir, parmi cet essaim gémissant, celle à