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tableau qui aurait eu tant de succès au Salon, à mon drame qui allait être joué, à une partie que j’avais projetée avec mes camarades, à un habit que mon tailleur devait me rapporter ce jour-là ; que sais-je, moi ? à mille choses dont je n’aurais guère dû m’inquiéter ; puis revenant à Jacintha, je réfléchis sur la manière dont elle s’était conduite ; je repassai chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, dans ma mémoire ; je crus me rappeler qu’il y avait quelque chose d’outré et d’affecté dans ses larmes, dont je n’aurais pas dû être la dupe : cela me fit ressouvenir de plusieurs choses que j’avais totalement oubliées ; plusieurs détails auxquels je n’avais pas pris garde, considérés sous un nouveau jour, me parurent d’une haute importance ; des démonstrations que j’aurais juré sincères me semblèrent louches ; il me revint dans l’esprit qu’un jeune homme, un espèce de fat moitié cravate, moitié éperons, lui avait autrefois fait la cour. Un soir, nous jouions ensemble, Jacintha m’avait appelé du nom de ce jeune homme au lieu du mien, signe certain de préoccupation ; d’ailleurs je savais qu’elle en avait parlé favorablement dans le monde à plusieurs reprises, et comme de quelqu’un qui ne lui déplairait pas.

« Cette idée s’empara de moi, ma tête commença à fermenter ; je fis des rapprochements, des suppositions, des interprétations : comme on doit bien le penser, elles ne furent pas favorables à Jacintha. Un sentiment inconnu se glissa dans mon cœur, et