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pathie. C’est un charmant tableau de genre. Un chanoine gras comme un chanoine qu’il est, et ne faisant pas mentir le proverbe, est assis, ou plutôt couché sur un mol édredon, dans une chambre bien close et bien nattée ; le feu est clair et flambe à un pied de haut dans la cheminée ; à ses côtés est étendue sa gouvernante, madame Sydoine, blanche, tendre, la peau douce et la joue vermeille ; des flacons et des hanaps pleins d’hypocras sont disposés sur la table ; le joyeux couple, jetant au loin d’importuns vêtements, rit, joue, s’embrasse et fait cent mignardises. — Le poëte, maigre, mourant de faim, tremblant de froid, les regarde, d’en dehors, par un trou de mortaise, et, enviant leur bonheur, il s’écrie piteusement :


............
Lors je congnuz que pour deuil appaiser,
Il n’est trésor que de vivre à son aise.

Si franc Gonthier et sa compagne Hélène
Eussent cette doulce vie hantée,
D’aulx et civots[1] qui causent forte haleine,
N’en mangeassent bise crouste[2] frottée
Tout leur mathon[3] ne toute leur potée,
Ne prise ung ail ; je le dis sans noysier[4],
S’ils se vantent coucher soubz le rosier,
Ne vault pas mieulx lit coustoyé de chaise ?
Qu’en dictes-vous ? faut-il à ce muser ?
Il n’est trésor que de vivre à son aise.

  1. Oignons.
  2. Croûte de pain bis.
  3. Lait caillé, lactis massa coacti.
  4. Chercher chicane.