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Revenons à l’épître dédicatoire. — « Pour voir une chose aussi extraordinaire, je n’irois pas seulement jusqu’à Thule, où Virgile met les dernières bornes du vieux monde, mais j’irois, s’il le falloit, au-delà de ce nouveau qu’on a découvert depuis. L’on dit qu’il faut connoître pour aimer, et cependant j’aime sans connoître, si l’inégalité des conditions permet ce mot et si le respect le souffre ; mais pourquoi ne souffriroit-il pas d’aimer les rois, qui ne sont que les images de Dieu, puisque Dieu lui-même, non-seulement souffre d’être aimé, non-seulement le commande, mais en fait le premier de tous ses commandements ? Aussi, lorsque j’appris que Votre Majesté étoit tombée dans la mer, je me sentis le cœur battre à cette funeste nouvelle, et, au milieu du même péril où elle se trouva, j’eusse été moins pâle que je ne le devins alors. Si cette terrible aventure eût été telle qu’on la disoit, le ciseau, les pinceaux et les couleurs me fussent tombés des mains, l’arc de triomphe que j’ai élevé à votre gloire fût demeuré imparfait, et on ne l’eût vu que comme on voit les illustres ruines de Rome, où, par la grandeur de quelques colonnes brisées, on juge de celles du bâtiment. »

— Voilà qui peut donner une idée au lecteur de la modestie du personnage et du style liminaire. Il paraît, du reste, que les reines du Nord avaient le triste monopole des dédicaces de poèmes épiques. Le Moyse de Saint-Amant est dédié à la reine de Pologne. Après l’épître dédicatoire vient un portrait de la reine Christine, avec ce quatrain au bas :


Christine peut donner des lois
Aux cœurs des vainqueurs les plus braves ;