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toiles de Téniers : « Tirez-moi ces magots ! » le verront, j’espère, avec quelque plaisir, ainsi que cette pochade sur un sujet analogue, que son peu d’étendue nous permet de transcrire ; c’est un sonnet intitulé les Goinfres :


Coucher trois dans un drap, sans feu ni sans chandelle,
Au profond de l’hiver, dans la salle aux fagots,
Où les chats ruminant le langage des Goths
Nous éclairent sans cesse en roüant la prunelle ;

Hausser notre chevet avec une escabelle,
Être deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui baillans au soleil se grattent sous l’aisselle ;

Mettre au lieu de bonnet la coiffe d’un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d’un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;

Puis souffrir cent brocards d’un vieux hôte irrité
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense,
C’est ce qu’engendre enfin la prodigalité.


Il y a dans ces vers quelque chose de vivace et de pénétré, un accent de nature qui est rare dans la poésie française. — Ce volume en renferme beaucoup de pareils. — Que dites-vous de ce portrait ? — Vous voyez cet homme qui fait la cour au roi de bronze sur le terre-plein du Pont-Neuf, avec ses yeux de chouette, sa barbe en feuille d’artichaut, son nez en flûte d’alambic. On s’amasse pour le regarder, l’un croit que c’est un orang-outang, l’autre un loup-garou ; celui-ci pense que c’est une autruche, et l’autre un des chameaux que M. de Nevers a ramenés dans son bagage ; — il y en a qui disent que c’est une cruche, quelques-uns un jacquemar à frapper