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rément les plus douloureuses interjections à voir la manière dont Little-John menait ses chevaux et sa voiture de prédilection.

Ce n’était pas un militaire. Il n’avait pas cette raideur gourmée, ce port de tête et cet effacement d’épaules qui fait reconnaître les fils de Mars au premier coup d’œil sous l’habit bourgeois. Ce n’était pas non plus un ministre. Sa physionomie, quoique grave et réfléchie, n’avait pas l’expression béate et l’aménité doucereuse qui sont propres aux gens d’église. Encore moins un négociant. Son front blanc et pur n’était rayé par aucune de ces rides pleines de chiffres et de calculs sur les probabilités de la hausse ou de la baisse des sucres. Ce n’était pas non plus un dandy, mais on pouvait affirmer à coup sûr, en le regardant, qu’on avait devant les yeux un parfait gentleman.

Quel intérêt si urgent le faisait galoper sur la route de Londres, comme si le salut de l’univers eût dépendu d’une minute de retard : fuyait-il ou poursuivait-il ? c’est ce que nous ne saurions encore décider.

Les chevaux commençaient à se fatiguer. Le frottement des harnais faisait mousser et blanchir leur sueur en flocons d’écume, leurs poitrails se couvraient de bave argentine comme ceux des coursiers de la mer dans les triomphes de Neptune ou de Galatée. De longs jets de fumée soufflés par leurs naseaux et emportés par le vent se confondaient avec la brume ardente qui s’exhalait de leurs flancs pantelants. La voiture roulait dans un nuage comme un char de divinité classique.

Malgré toute son envie de gagner les trois gui-