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de ne pas venir m’apprendre la cause de ce retard ; ces allées et ces venues auraient pu exciter les soupçons, la surveillance est si active dans cette île damnée ! La moindre imprudence eût compromis cette occasion suprême.

La journée s’écoula dans ces alternatives pour Sidney, avec des transes et des angoisses si vives que les mèches de cheveux de ses tempes en devinrent blanches.

Le soir arriva et le soleil s’enfonça degré par degré à l’autre bout de la mer, après avoir traversé plusieurs étages de nuées comme une bombe crève les planchers d’un édifice. La sanglante traînée de ses reflets s’allongea sur le fourmillement lumineux des flots, puis s’éteignit, et la nuit tomba avec cette rapidité particulière aux régions tropicales.

Ces heures noires semblèrent à Sidney plus longues que des milliers d’éternités, et il faut renoncer à peindre une nuit pareille ; l’attente, l’inquiétude, la rage, le désespoir, les suppositions les plus opposées prirent pour champ de bataille l’âme du malheureux Sidney et y trépignèrent jusqu’au matin en luttant ensemble.

Une idée traversa le cœur de Sidney, et il se sentit froid dans sa poitrine comme au contact d’une lame de poignard.

— L’empereur se serait-il défié de moi ? s’écria-t-il ; c’est juste, je suis Anglais, poursuivit-il avec un rire amer et qui touchait presque à la folie ; ou serait-il plus malade ?

Et sans prendre aucune précaution, au risque de couler dix fois dans la mer, des pieds, des mains