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pareils à des cicatrices de blessures anciennes, leurs cimes effritées par les pluies torrentielles, présentaient un tableau d’une majesté sauvage et sinistre ; ils avaient l’air grandiosement horrible.

Ces rochers paraissaient tombés là du haut du ciel le jour de l’escalade des géants ; ils étaient encore tout écornés et tout brûlés des éclats de la foudre. Quelque chose de surhumain devait s’y passer, une vengeance inouïe, un supplice à rappeler les croix du Caucase, et l’on cherchait involontairement sur quelque cime la silhouette colossale d’un Prométhée enchaîné.

Pour peu que la fantaisie eût voulu s’y prêter, une nuée ouverte en aile, qui palpitait au-dessus d’une crête vaguement ébréchée en forme humaine, figurait suffisamment le vautour.

En effet, un Prométhée, aussi grand que l’autre, mugissait là, cloué depuis cinq ans par la Force et la Puissance, comme dans la tragédie d’Eschyle.

Tout l’équipage était sur le pont. Sir Arthur Sidney contemplait l’île noire avec un regard indéfinissable où il y avait de la honte, de la douleur et de l’espoir. Muet, il serrait la main de Benedict, debout à côté de lui et qui paraissait aussi pénétré d’une vive émotion. Le capitaine Peppercul avait laissé à moitié vide un gallon plein de rhum, ce qui était pour lui le plus haut signe de perturbation morale.

L’ordre fut donné de jeter l’ancre en face de la ville dont les maisons grisâtres se dessinaient au fond de la grande déchirure des montagnes ouvertes à ce seul endroit, car partout elles entourent