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que chose a crié en moi, et il m’a semblé que replonger dans la mort l’être qu’un hasard merveilleux rattachait à la vie, eût été une barbarie froide, une espèce d’impiété envers le destin. Mais, je ne dois pas vous le cacher, cette existence que je vous ai rendue, il m’est interdit de vous en laisser la libre disposition, au moins jusqu’à l’achèvement de la grande œuvre à laquelle je travaille : le vaisseau qui nous emporte ne doit s’arrêter que dans les mers les plus lointaines. Jusque-là vous serez morte pour tout le monde.

— Ne craignez rien, mylord, je n’ai pas envie de ressusciter.

— Cet habit que vous avez pris, continua Sidney, vous le garderez quelque temps. — Plus tard, quand il faudra le quitter, je vous le dirai. N’ayez aucune crainte. Malgré nos airs sinistres et ténébreux, nous sommes d’honnêtes gens, nous tendons à un grand but. Et en disant ces mots, les yeux de Sidney resplendirent, son front rayonna, ses traits s’illuminèrent ; mais bientôt, comme honteux de cette effusion, il reprit son regard tranquille et son attitude froide. Fiez-vous à ma loyauté, madame, je ne vous aurais pas retirée de la mort par l’infamie, et puisqu’un assassinat ou un suicide vous ont jetée au fleuve, il faut que vous en sortiez radieuse et réconciliée ; avec moi, les dangers du moins seront glorieux, et si vous succombez à la tâche, les siècles vous béniront.

— Oh ! oui, répondit Edith, maintenant que tous les fils qui me liaient à l’existence ont été brisés, je sens que je ne puis vivre que pour le dévoûment ; moi, mes jours sont finis, je n’ai