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les cruautés de l’amour

— Celui-là n’a pas perdu une goutte de sang, dit André ; on ne trouvera sur sa fourrure ni le trou d’une balle ni celui d’un poignard, je l’ai étranglé avec les deux mains que voilà.

— Mon Dieu ! il est fou ! s’écria Catherine, il ne chasse plus, il se bat avec les bêtes fauves, c’est donc exprès qu’il n’avait pas emporté ses armes ! Eh ! bien ! et tout ce sang qui est sur toi ?

— C’est le mien. L’animal ne s’est pas laissé tuer comme cela sans rien dire, il s’est bien défendu. J’avais cette idée d’attaquer la proie avec les seules armes que Dieu m’a données.

— Pourquoi as-tu fait cela, enfant ? dit Ivan avec gravité.

— Je me sentais devenir lâche, et je croyais n’avoir plus de force. J’ai voulu voir, répondit le jeune homme.

— Tu as bien fait, dit Ivan.

Catherine se signa et cracha par terre en entendant une pareille chose ; puis elle alla chercher le souper d’André qu’elle avait tenu au chaud.

Le jeune homme s’assit à table et but avidement, mais mangea peu ; et, comme pris de paresse et de somnolence, il mit sa tête dans ses mains et demeura immobile, répondant à peine aux questions dont on l’accablait.

Bientôt, les paysans allèrent se coucher. Clélia