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les cruautés de l’amour

Pour être brève, je vous dirai que je me suis sauvée. Je sais bien qu’on ne pouvait pas m’obliger à épouser ce vilain vieil homme, mais il me fallait tous les jours écouter les douceurs qu’il me débitait, voir sa laide figure rouge et vulgaire ; chaque matin, il me fallait jeter au feu ses bouquets et ses lettres ; de plus, entendre les reproches continuels de mon tuteur et les insinuations vipérines de la chère Prascovia. Je me sentais devenir folle. Alors, j’allai trouver mon bon Pavel, qui souvent gémissait avec moi de cet état de choses, et je lui confiai ma résolution de quitter la maison. Je voulais aller en France, mais il me fit remarquer que je ne disposais pas de ma fortune et que je serais malheureuse en France ; de plus, qu’il n’était pas convenable pour une jeune fille d’aller ainsi courir le monde, et il m’offrit de m’emmener chez des braves gens qui m’aimeraient comme leur fille, me feraient passer pour une de leurs parentes et garderaient le plus profond secret sur ma véritable condition. Eh bien, me voici chez ces braves gens. Voulez-vous de moi ?

— Ah ! sainte bonne Vierge ! s’écria Catherine, si nous voulons d’elle ! C’est comme si on demandait au petit agneau qui vient de naître s’il veut le lait de sa mère !

Clélia sourit de cette étrange comparaison.