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les cruautés de l’amour

mes gaiement, en compagnie du singe et du perroquet ; puis sentant nos yeux se fermer, nous arrangeâmes nos lits le mieux possible, milady sur son arbre, moi au pied de l’arbre, et je m’endormis, gémissant de la cruauté de ma compagne, qui préférait me laisser mordre par les vipères, que de me donner l’hospitalité. Ainsi se passa notre première journée dans l’île Fidji.

Le lendemain matin, le soleil nous éveilla avec une rare insolence. Milady, du haut de son arbre, proposa de prendre un bain de mer pour nous donner du courage au travail, et d’emporter la lunette d’approche, afin de voir si aucun navire n’apparaîtrait à l’horizon. Elle descendit bientôt et dégringola lestement la dune. Elle fut sur la plage avant moi, et je l’entendis crier :

— Une paillasse ! deux paillasses ! autant de paillasses que nous voudrons !

Ces exclamations ne manquèrent pas de me surprendre, des paillasses sur la plage ! L’île était donc habitée ? Je m’élançai vers milady et la trouvai plongeant ses bras dans des touffes de varechs que la mer avait rangées soigneusement le long de la plage ; mon visage reprit sa sérénité.

— Voyez, voyez, disait-elle, quelle trouvaille !

Nos reins et notre dos étaient en effet fort courbaturés de la dureté de nos lits et nous nous réjouî-