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les cruautés de l’amour

ineffable, exprimant d’une façon saisissante l’ivresse de l’être qui se sent aimé et croit le monde trop étroit pour contenir son bonheur :

« Il m’aime ! il m’aime ! J’entends la voix des forêts le crier, le vent le dit aux nuages qu’il emporte, le fleuve roule cet aveu de vague en vague.

« Il m’aime ! il m’aime ! Sous les branches le gazouillement des oiseaux le redit, les clochettes d’argent du muguet le proclament dans la vallée.

« Il m’aime ! il m’aime ! une joie inconnue m’accable, une inquiétude douce et poignante fait frémir mon cœur. »

La voix de Clélia était fraîche et souple, un peu grêle peut-être, mais d’un timbre plein de charme. Elle sut, cette fois-là, lui donner une expression de violence et d’enthousiasme qui enleva son auditoire.

Tandis qu’on l’acclamait de tous côtés, elle regarda André et crut lire sur son visage, pâle d’émotion, dans ses yeux brillants de larmes, qu’il ne pouvait plus lutter, que son amour était plus fort que sa raison et que toutes ses résistances s’écroulaient. Une faible rougeur de joie colora un instant les joues de la jeune fille.