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le second rang du collier

et bientôt ne vit plus qu’elle. Son rêve, à la fin, lui devint une réalité ; la figure idéale de Spirite n’était pour lui que le reflet d’une image ; et cette image, il ne se doutait pas qu’il l’avait lui-même recréée :


Une pâleur rosée légèrement colorait cette tête, où les ombres et les lumières étaient à peine sensibles, et qui n’avaient pas besoin, comme les figures terrestres, de ce contraste pour se modeler, n’étant pas soumise au jour qui nous éclaire. Ses cheveux d’une teinte d’auréole estompaient comme d’une fumée d’or le contour de son front. Dans ses yeux à demi baissés nageaient des prunelles d’un bleu nocturne, d’une douceur infinie, et rappelant ces places du ciel qu’au crépuscule envahissent les violettes du soir. Son nez fin et mince était d’une idéale délicatesse ; un sourire à la Léonard de Vinci, avec plus de tendresse et moins d’ironie, faisait prendre aux lèvres des sinuosités adorables ; le col, flexible, un peu ployé sous la tête, s’inclinait en avant et se perdait dans une demi-teinte argentée qui eût pu servir de lumière à une autre figure.


Telle est l’apparition de Spirite dans le miroir de Venise, et, sans être prévenu, il n’était pas aisé de reconnaître l’original de ce portrait ; et cependant, lorsque l’on savait, cela ne semblait plus impossible :


C’étaient bien les mêmes traits, mais épurés, transfigurés, idéalisés et rendus perceptibles par une substance en quelque sorte immatérielle… L’esprit ou l’âme qui se communiquait à Guy de Malivert avait sans doute emprunté la forme de son ancienne enveloppe périssable, mais telle qu’elle devait être dans un milieu plus subtil, plus éthéré, où ne peuvent vivre que les fantômes des choses et non les choses elles-mêmes.