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le second rang du collier

Au moment du déjeuner, nous nous aperçûmes que nous étions séparés de la cave. J’en étais spécialement chargée : je devais surveiller la mise en bouteilles, du vin, le bouchage et le cachetage ; j’avais même voulu, de mes propres mains, imprimer sur la cire le cachet de mon père. C’était une bague qu’il portait toujours, un chaton de cornaline, sur laquelle était gravée cette devise : Vivere mémento[1]. Je prétendais que, le V et le B se confondant presque dans certaines langues, on pouvait lire : Bibere mémento[2], devise parfaite. Me jugeant responsable du vin, j’estimai qu’il était de mon devoir d’aller le conquérir. Je fis porter un baquet et une perche au bas de l’escalier, décidée à risquer la traversée. Mon père voulut s’y opposer, mais je n’obéissais pas toujours et j’étais déjà… au large. Le tunnel sous la terrasse n’était pas envahi par l’eau, les caves étaient à sec et mon expédition héroïque fut des plus faciles ; seulement, au retour, je n’osai pas surcharger l’embarcation : je criai que l’on descendit un panier au bout d’une corde, du haut du mur, devant le tunnel, ce qui fut fait, et l’on monta le vin très facilement.

Le baquet nous amusa quelques jours ; très enhardies, ma sœur et moi, nous entreprenions, à tour de rôle, de plus lointaines navigations. Puis l’eau commença de baisser. Mais, la nuit suivante,

  1. « Souviens-toi de vivre. »
  2. « Souviens-toi de boire. »