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eut un tableau admis et remarqué à l’exposition du Louvre. Il aurait bien voulu revoir la dame au crayon d’or ; mais, quoiqu’il eût regardé très-attentivement dans les promenades, au théâtre, aux églises, toutes les femmes qui pouvaient offrir quelque ressemblance avec elle, il ne put retrouver sa trace. Il ne savait pas son nom, et ne connaissait d’elle que sa beauté. Un vague espoir cependant le soutenait ; quelque chose lui disait au fond du cœur que la destinée n’en avait pas fini entre eux deux. Quelque modeste qu’il fût, il avait la conscience de son talent ; il s’était rapproché du ciel, et l’impossibilité d’atteindre l’étoile de son rêve diminuait chaque jour. De temps à autre, notre jeune peintre se promenait aux alentours de son tableau, en se penchant sur la balustrade, affectant de considérer attentivement quelque cadre microscopique dans le voisinage de sa toile, afin de recueillir les avis des spectateurs, et puis il se disait, non sans quelque raison, que la dame, qui dessinait elle-même et paraissait aimer beaucoup le paysage, si elle était à Paris, viendrait immanquablement visiter l’exposition. En effet, un matin, avant l’heure où la foule abonde, Petit-Pierre vit s’avancer du côté de son tableau une jeune femme vêtue de noir ; il ne vit pas d’abord sa