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Il y a cinq ou six ans, on dirait un siècle, tant il s’est passé de choses depuis, Célestin Nanteuil fut nommé directeur de l’école de dessin à Dijon, nous l’avons dit en parlant de lui l’autrefois.

Ce prochain départ ménageait au brave et courageux artiste fatigué d’une vie trop remplie de travaux ou plutôt de besogne, une possibilité de loisirs où la vraie peinture pourrait prendre une large place. — Il n’y avait donc pas motif de s’attrister, et cependant on était triste, — c’était le hoc erat in votis de Nanteuil, — et l’on résolut de célébrer son élévation aux honneurs par un banquet.

Les vieilles bandes d’Hernani et de Lucrèce Borgia, tous ceux qui avaient combattu l’hydre classique avec ses cent têtes coiffées de perruques soit aux théâtres, soit aux jurys de peinture, les derniers fidèles du Roi s’amuse et des Burgraves, les vieux compagnons d’atelier et aussi de jeunes élèves, quelques-uns même qu’on croyait perdus pour l’art et passés aux philistins, se réunirent de tous les points de l’horizon à un restaurant au coin de la rue du Sentier. Quand on fut entré et qu’on se fut compté, quelqu’un qui connaissait Hernani pour s’être battu à trente-deux représentations rangées, déclama les vers suivants :


Et ne réclamez pas leur épée impuissante :
Pour un qui vous viendrait, il m’en viendrait soixante.
Soixante ! dont chacun vous vaut tous quatre ! Ainsi,
Vidons entre nous tous notre querelle ici.


Il y avait longtemps qu’une telle agape romanti-