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directement dans la nature. Il donne la fleur, l’essence de l’idée même du sujet, sans s’astreindre à des détails oiseux ou d’une vérité prosaïque qui détourneraient l’attention ou feraient dissonance.

Dans son œuvre, Delacroix a toujours cherché le signe caractérisque, le trait de passion, le geste significatif, la note étrange et rare. Son dessin, qu’on a si souvent critiqué, et qui est très-savant malgré de visibles incorrections que le moindre rapin peut relever, ondoie et tremble comme une flamme autour des formes qu’il se garde de délimiter pour n’en pas gêner le mouvement ; le contour craque plutôt que d’arrêter l’élan d’un bras levé ou tendu. La couleur s’entasse à l’endroit qui est le point central de l’action, car, avant tout, Delacroix veut donner la sensation de la chose qu’il représente dans son essence même, et non dans sa réalité photographique.

Le but de l’art, on l’a trop oublié de nos jours, n’est pas la reproduction exacte de la nature, mais bien la création, au moyen des formes et des couleurs qu’elle nous livre, d’un microcosme où puissent habiter et se produire les rêves, les sensations et les idées que nous inspire l’aspect du monde. C’est ce que comprenait instinctivement ou scientifiquement Delacroix, et ce qui donnait à sa peinture un caractère si particulier, si neuf et si étrange.

L’école française a eu pour principaux mérites la sagesse, la clarté, la sobriété, l’intention et la composition philosophique, le dessin spirituel et