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Antoine et Cléopâtre, Jules César et Coriolan, en y metfant la flamme, le mouvement, l’éclat et même une certaine familiarité puissante d’un effet irrésistible. Sur ces sujets, réduits jusque-là à l’immobilité du bas-relief, il répandit les magies de la couleur et fit remonter la pourpre de la vie dans les veines pâles du marbre. Le Triomphe de Trajan, la Mort de Marc Aurèle, Médée poignardant ses enfants, sont des spécimens magnifiques de cette manière nouvelle que l’artiste développa dans son Élysée des poëtes à la bibliothèque du Sénat, son plafond d’Apollon à la galerie du Louvre, et ses peintures du salon de la Paix à l’Hôtel de Ville.

Delacroix n’était pas de ces peintres qui s’enferment à plaisir dans une étroite spécialité et ne représentent qu’un petit nombre d’objets toujours les mêmes. Son vaste talent embrassait la nature entière, et tout ce qui avait vie, forme et couleur était du ressort de sa palette.

Esprit singulièrement harmonieux dans son désordre apparent, il s’était fait un monde à lui, un microcosme où il régnait en maître et dont les éléments se composaient et se décomposaient suivant l’effet qu’il voulait produire.

Là flottaient toutes les images de la nature, non pas copiées, mais conçues et transformées, et servant comme des mots à exprimer des idées, et surtout des passions. Dans la moindre ébauche comme dans le tableau le plus important, le ciel, le terrain, les arbres, la mer, les fabriques parti-