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chacune d’elles présentait un nouvel instant de l’action.

« M. Delacroix, a dit Gœthe, est un grand talent, qui a, dans Faust, précisément trouvé son vrai aliment. Les Français lui reprochent trop de rudesse sauvage, mais ici elle est parfaitement à sa place. On espère qu’il reproduira Faust tout entier, et j’attends surtout avec joie la cuisine des sorcières et les scènes du Brocken. On voit que son observation a sondé profondément la vie, et pour cela une ville comme Paris lui offrait les meilleures occasions. »

« Je dis alors que de tels dessins contribuaient énormément à une intelligence complète du poëme. « C’est certain, dit Gœthe, car l’imagination plus parfaite d’un artiste nous force à nous représenter les situations comme il se les est représentées à lui-même. Et s’il me faut avouer que M. Delacroix a surpassé les tableaux que je m’étais faits de scènes écrites par moi-même, à plus forte raison les lecteurs trouveront-ils toutes ces compositions pleines de vie et allant bien au delà des images qu’ils se sont créées. »

C’est ainsi que le Jupiter de Weimar, le poète marmoréen, le grand plastique, jugeait dans sa vieillesse les jeunes efforts de l’artiste romantique. Jamais plus splendide et plus intelligent éloge ne fut donné à la peinture par la poésie. Nous ignorons si Eugène Delacroix connut dès lors cette haute appréciation de Gœthe. Elle l’aurait consolé de bien