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L’ATELIER DE M. INGRES EN 1848.

Vénus est précoce ; la gorge se gonfle, soulevée par un premier soupir la hanche se dessine, et les contours s’enrichissent des rondeurs de la femme. Rien n’est plus fin, plus pur, plus divin que ce corps de Vénus vierge. Grande déesse des Amours, c’est là le seul charme qui te manquait ! En te faisant ce don plus précieux que celui du ceste, M. Ingres t’a mise en état de lutter avec Marie, la Vénus chrétienne !

Ses bras, levés au-dessus de sa tête-avec un mouvement d’une grâce indicible, tordent ses cheveux blonds d’où ruissellent des perles, larmes de regret de la mer désolée de porter ce beau corps au rivage.

Ses pieds, blancs comme le marbre et d’où la froideur de l’eau a chassé le sang, sont caressés par les lèvres argentées de l’écume et les lèvres roses de petits Amours, chérubins païens en adoration devant leur reine.

L’un d’eux, se haussant sur la pointe d’une vague ; tend à Vénus un miroir, c’est-à-dire la conscience de sa beauté. La main potelée de l’enfant se réfléchit avec un art admirable dans le métal bruni.

Au fond, les tritons s’agitent, les dauphins sautent ; tous les habitants du moite empire célèbrent l’heureuse naissance.

Il n’est personne qui n’admire le dessin pur, le modelé fin, le noble style de M. Ingres. Toutes ces qualités se retrouvent ici avec celle d’un coloris