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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

ment vraie des formes humaines, le Florentin serait à ce compte un pitoyable artiste.

Heureusement que le but de l’art ne consiste pas dans l’imitation de la nature. L’art est une création dans la création, et les peintres doivent faire le poème de l’homme et non son histoire. L’illusion est une chose très peu importante dans l’art ; jamais un tableau de Michel-Ange ou de Raphaël n’a trompé l’œil une minute, et cependant ce sont là les deux noms rayonnants, les deux fronts entourés d’auréoles. Weeninx, avec son lièvre mort, son paon et sa grive, serait le premier peintre du monde, si le trompe-l’œil était le dernier mot et le but véritable de la peinture. Il n’en est rien. Je ne sais trop ce qu’on dirait aujourd’hui, où les peintres plus timides et moins inventifs nous ont accoutumés à une traduction plus servilement prosaïque de la nature, si on voyait au Salon un tableau ou une statue exécutés avec cette insouciance et ce mépris de l’aspect humain.

Je suis sûr que messieurs les critiques tomberaient sur le dos de ce pauvre Michel-Ange et lui tailleraient de terribles croupières : ils le traiteraient de fou, d’extravagant, d’enragé et d’immoral. Quel amusement ce serait de voir les fabricants d’esthétique lui reprocher gravement de ne pas penser à la moralisation des classes les plus pauvres et de n’être ni utile ni progressif. Que diraient les braves bour-