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LE PETIT-CHAMP, LA CORNE-D’OR.

trou creusé au milieu de la voie publique, et au fond duquel une lice rogneuse allaitait quatre ou cinq petits avec une sécurité parfaite et un complet mépris des piétons et des cavaliers. Cependant, quelques rues ont un nom traditionnel tiré du voisinage d’un khan ou d’une mosquée, et celle où je demeurais, comme je l’appris plus tard, s’appelait Dervish Sokak ; mais jamais ce nom n’est écrit et ne sert à vous guider.

Ma maison était construite en pierres, circonstance que l’on me fit beaucoup valoir et qui n’est pas à dédaigner dans une ville aussi combustible que Constantinople. Pour plus de sécurité, une porte de fer, des volets de tôle épaisse se repliant par feuilles, devaient, en cas d’incendie du quartier, intercepter les flammes et les étincelles, et l’isoler complètement. J’avais un salon aux murailles blanchies à la chaux, au plafond de bois peint en gris et rechampi de filets bleus, meublé d’un long divan, d’une table et d’un miroir de Venise dans un cadre or et noir ; une chambre à coucher avec un lit de fer et une commode. Cela n’avait rien d’extrêmement oriental, comme vous voyez ; pourtant mon hôtesse était Smyrniote, et sa nièce, quoique vêtue à l’européenne d’un peignoir rose, roulait, dans un masque pâle serti de cheveux d’un noir mat, des yeux langoureusement asiatiques. Une servante grecque, très-jolie sous le petit mouchoir tortillé au sommet de sa tête, complétait, avec une sorte de jocrisse des Cyclades, le personnel de la maison, et lui donnait une teinte de couleur locale. La nièce savait un peu de français, la tante un peu d’italien, au moyen de quoi nous finissions par nous entendre à peu près. Constantinople est, du reste, la vraie tour de Babel, et l’on s’y croirait au jour de la confusion des langues. La connaissance de quatre idiomes est indispensable pour les rapports ordinaires de la vie : le grec, le turc, l’italien, le français sont parlés dans Péra