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CONSTANTINOPLE.

il en existe une autre nommée Yeri-batan-Seraï (le Palais de dessous terre). Celle-là ne renferme pas de filatures de soie comme Ben-Bir-Dereck. Dès l’entrée, une vapeur humide et pénétrante, chargée de coryzas, de fluxions et de points de côté, vous enveloppe de son manteau mouillé ; une eau noire éraillée de quelques paillettes et de quelques remous livides baigne les colonnes verdies et s’étend sous les arcades opaques à des profondeurs que l’œil ne peut sonder et que les rayons des torches n’atteignent pas.

Rien n’est plus sinistre et plus effrayant ; les Turcs prétendent que les djinns, les goules et les afrites tiennent leur sabbat dans ce palais lugubre, et y secouent joyeusement leurs ailes de chauve-souris, mouillées des pleurs de la voûte. Autrefois on parcourait en bateau cette mer souterraine. Ce voyage devait ressembler à la traversée des fleuves infernaux dans la barque à Caron. Des barques, entraînées sans doute par des courants intérieurs vers quelque gouffre, ne sont jamais revenues de cette noire expédition, interdite aujourd’hui, et que je n’aurais d’ailleurs eu nulle envie de tenter, eût-elle été permise.