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CONSTANTINOPLE.

nouait négligemment autour de ses reins, et laissait voir presque à nu un corps hâlé, bistré, bronzé, cuit et recuit à la flamme des soleils, aux souffles torrides du khamsin ; pour le peindre, il n’eût fallu que deux tons, de la momie et de la terre de Sienne brûlée. Ses jambes, rouges comme la brique, étaient chaussées, jusqu’au-dessus des chevilles, d’un brodequin de poussière grise.

Une maigreur vigoureuse faisait saillir tous ses muscles et tous ses os ; ses cheveux noirs sauvagement crépus se hérissaient sur sa tête comme des touffes de broussailles ; au bord de ses joues brunes floconnaient quelques touffes de barbe éparse, car il était jeune. — Une placidité folle régnait dans ses yeux fixes. Seul au milieu de la foule, comme au milieu du Sahara, il semblait bercé par quelque hallucination apocalyptique. — Il me fit involontairement penser à saint Jean dans le désert, et jamais peintre n’en a rêvé un pareil : le saint Jean de Léonard de Vinci, avec son ironique sourire de faune, a l’air d’un Dieu mythologique déguisé, celui de Raphaël ressemble à un jeune pâtre de la campagne romaine. Il est impossible de rêver quelque chose de plus fauve, de plus hagard, de plus hérissé, de plus férocement ascétique, de plus brûlé par le fanatisme, de plus dévasté par le jeûne et les macérations. Un pareil pénitent pouvait aller sans peur à travers les solitudes ; les lions et les panthères devaient reculer devant ce corps nourri de sauterelles.

C’était un hadji qui revenait de la Mecque ; il avait vu la pierre noire, accompli les sept évolutions sacrées et bu de l’eau du puits Zem-Zem, qui lave tous les péchés, et, tout nu qu’il était, il ne faisait pas plus de cas d’un vizir que d’un grain de la boue attachée à ses pieds.