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LE PALAIS DU BOSPHORE.

nètre ce dôme de rubis, tout prend des flamboiements étranges : l’air semble s’enflammer et l’on croit respirer du feu ; les colonnes s’allument comme des lampadaires, le pavé de marbre rougit comme un pavé de lave ; un rose incendie dévore les murailles ; on se croirait dans la salle de réception d’un palais de salamandres bâti de métaux en fusion ; vos yeux reluisent comme du paillon rouge, vos habits deviennent des vêtements de pourpre. — Un enfer d’opéra, éclairé de feux de Bengale, peut seul donner une idée de cet effet étrange, d’un goût équivoque peut-être, mais saisissant, à coup sûr.

Une petite merveille qui ne déparerait pas les plus féeriques architectures des Mille et une Nuits, c’est la salle de bains du sultan. Elle est de style moresque, en albâtre rubané d’Égypte, et semble taillée dans une seule pierre précieuse, avec ses colonnettes, ses chapiteaux évasés, ses arcades en cœur, et sa voûte constellée d’yeux de cristal qui brillent comme des diamants. Quelle volupté ce doit être d’abandonner sur ces dalles, transparentes comme des agates, ses membres assouplis aux savantes manipulations des tellacks, au milieu d’un nuage de vapeur parfumée, sous une pluie d’eau de rose et de benjoin !

C’est dans une des salles de ce palais que doit être posé le salon Louis XIV peint et construit à Paris par Séchan, l’illustre décorateur de l’Opéra, dont nous avons parlé lorsqu’il le dressa à son atelier de la rue Turgot.

Las de merveilles, fatigué d’admiration, je remerciai M. Balyan, qui me fit sortir par la cour d’honneur, dont la porte est une espèce d’arc-de-triomphe en marbre blanc d’une ornementation très-riche et très-fleurie, et qui forme du côté de la terre une entrée tout à fait digne de ce somptueux palais. Puis, comme je mourais de faim, j’entrai dans une boutique de fruitier, et je me fis servir deux brochettes