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CONSTANTINOPLE.

pectives, et le cortége se mit en mouvement pour regagner le palais au cri de Vive le sultan ! poussé en turc par les soldats avec un véritable enthousiasme.

En pressant un peu le pas, je pus devancer le cortége et m’aller poster plus loin, de manière à voir encore Sa Hautesse. Je donnais le bras à une jeune dame italienne qui m’avait prié de l’accompagner, et qui se penchait avidement à travers la haie pour contempler les traits du sultan ; car un homme qui a seize cents concubines est un phénomène qui intéresse au plus haut degré la curiosité des femmes ; Abdul-Medjid, dont le cheval s’avançait moelleusement, inclinant sa belle tête avec des ondulations de col de cygne et comme ayant la conscience du fardeau qu’il portait, Abdul-Medjid remarqua l’étrangère et fixa quelques secondes sur elles ses yeux d’aigle en tournant imperceptiblement sa face impassible, ce qui est la manière de saluer du sultan, chose qu’il fait du reste très-rarement.

Pendant ce défilé, la musique jouait une marche arrangée sur des motifs turcs par le frère de Donizetti, chef de la musique impériale, et entremêlée d’assez de tambours de basque et de flûtes de derviche pour satisfaire les oreilles mahométanes sans choquer cependant les oreilles catholiques ; cette marche a de l’entrain et ne manque pas de caractère.

Puis tout rentra dans le palais, dont la porte ouverte laissait entrevoir une vaste cour d’architecture moderne, les battants retombèrent, et il ne resta plus dans la rue que quelques curieux, se dispersant de différents côtés ; des paysans bulgares au sayon grossier, au bonnet de fourrure, et de vieilles mendiantes momifiées accroupies dans leurs haillons, sur le plat de leurs cuisses, le long des murailles incandescentes de chaleur.

Le silence de midi régnait autour de ce palais mystérieux,