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CONSTANTINOPLE.

ponne et querelleuse traverse tout ce burlesque répertoire ; Hadji-aïvat a le corps délié comme l’esprit, et contraste par sa gracilité avec la robuste carrure de Karagheuz.

Le jardin décrit tout à l’heure renferme une beauté mystérieuse, une houri de Mahomet qui excite au plus haut degré les désirs libidineux de Karagheuz. Il voudrait pénétrer dans ce paradis défendu par des gardiens farouches, et invente, pour y réussir, toutes sortes de ruses successivement déjouées : tantôt c’est un eunuque qui le menace de son sabre, tantôt un chien aux dents aiguës, aux abois turbulents, qui se jette après ses jambes et lui pille les mollets ; Hadji-aïvat, non moins libertin que son maître, tâche de se substituer à Karagheuz et de se glisser à sa place auprès de cette belle. Il complique la situation par toutes sortes de balourdises perfides, causes d’altercations et de luttes comiques entre lui et son patron. Cette canaille n’a même pas la vertu de Mascarille, qui ne fait pas la cour aux maîtresses de Lélie.

Un nouveau personnage se présente. C’est un jeune homme, un fils de famille, vêtu de la redingote et coiffé du tarbouch, comme un jeune Turc d’ambassade. Il tient à la main un pot de basilic, symbole de l’état de son âme, déclaration d’amour visible et permanente ; Karagheuz avise ce naïf amoureux et s’attache à lui ; il lui soutire de l’argent en lui promettant de le faire parvenir jusqu’à celle qu’il aime, et le promène comme un valet de Molière, un Valère ou un Éraste bien idiot et bien crédule ; son espoir est d’entrer à la suite de l’effendi dans ce paradis défendu par des noirs à la cravache flamboyante, et de lui souffler scélératement sa belle.

Des Persans, attirés par la réputation de cette beauté, viennent aussi faire pied de grue devant les grilles du jardin. Ils sont montés sur des chevaux tigrés et caparaçonnés