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CONSTANTINOPLE.

car les derviches étaient affublés d’espèces de manteaux ou de surtouts verts, bleus, raisin-de-Corinthe, cannelle, ou de toute autre nuance, qui ne faisaient pas partie de l’uniforme, et qu’ils devaient quitter au moment de commencer leurs valses, pour les reprendre ensuite lorsqu’ils retomberaient haletants, ruisselants de sueur, brisés d’extase et de fatigue.

Les prières commencèrent, et avec elles les génuflexions, les prosternations, les simagrées ordinaires du culte musulman, si bizarres pour nous, et qui seraient aisément risibles sans la conviction et la gravité que les fidèles y mettent. Ces alternatives d’élévation et d’abaissement font penser aux poulets qui se précipitent avidement le bec contre terre et se relèvent après avoir saisi le grain ou le vermisseau qu’ils convoitent.

Ces oraisons sont assez longues, ou du moins le désir de voir les danses les fait paraître telles, surtout pour un curieux européen, qui n’espère pas s’aller reposer après sa mort sous l’ombrage de l’arbre Tuba, dans le paradis-sérail de Mahomet, et de s’y mirer pendant des éternités, aux yeux noirs des houris, toujours vierges ; néanmoins, ce bourdonnement pieux, par sa persistance monotone, finit par agir fortement sur l’organisme même des incrédules, et l’on conçoit qu’il impressionne les âmes croyantes et les entraîne merveilleusement pour ces exercices étranges, au-dessus de la puissance humaine, et qui ne peuvent s’expliquer que par une sorte de catalepsie religieuse assez semblable à l’insensibilité extra-naturelle des martyrs au milieu des plus atroces supplices.

Lorsqu’on eut psalmodié assez de versets du Koran, hoché suffisamment la tête et fait un nombre satisfaisant de prosternations, les derviches se levèrent, jetèrent leurs manteaux et refirent une procession circulaire autour de la salle.