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LE COMTE.

Répondez !… Seriez-vous, par hasard, un de ces hardis cavaliers qu’on accuse de ce dévouement sacrilége ?

DON MELCHIOR.

Me prenez-vous pour un premier chapitre de roman ?… Un cheval qui s’emporte, un taureau furieux, une héroïne qui s’évanouit, et l’inévitable jeune homme qui vient à point la secourir… c’est le pont-aux-ânes… je ne passe jamais sur ce pont-là… Un homme qui se respecte laisse de pareils exploits à des écoliers en théologie… D’ailleurs, je ne sauve pas les femmes… au contraire !…

LE COMTE.

Ce n’est donc pas vous ?… Je dois m’en réjouir… ma position m’y oblige… Et cependant j’ai aussi quelques raisons pour m’en affliger… dans votre intérêt même.

DON MELCHIOR.

Comment ?

LE COMTE.

Vous savez pourquoi je vous ai fait venir de Grenade ?

DON MELCHIOR.

Sur plusieurs mulets fort durs, au milieu d’un tintamarre de grelots… mais je voudrais bien être à table !

LE COMTE.

La question n’est pas là… répondez…

DON MELCHIOR.

Ah ! oui, vous aviez contre moi des projets sinistres, vous pensiez à me marier…

LE COMTE.

Et vous ne m’en remerciez pas ?

DON MELCHIOR.

Ma foi, non.

LE COMTE.

Vous êtes un simple monstre d’ingratitude… Je vous destinais votre cousine, dona Béatrix d’Astorga…

DON MELCHIOR.

À propos… est-elle jolie ?

LE COMTE.

Elle a des armoiries charmantes.

DON MELCHIOR.

Est-elle riche ?

LE COMTE.

Assez pour vous faire attendre patiemment mon héritage.

DON MELCHIOR.

Combien ?

LE COMTE.

Deux millions de réaux.