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qu’elle revint de la laiterie où elle était allée rapporter la crème encore intacte, les « garçons » rougeauds, c’est-à-dire les célibataires de dix-huit à trente-cinq ans, — et les « fillettes » d’un âge quelconque s’amusaient d’un jeu rustique auquel les femmes semblaient s’intéresser plus que les hommes, ceux-ci généralement intimidés et craignant les railleries l’un de l’autre. Mistress Corney, qui savait comment on les encourage, fit signe d’apporter un grand pot à bière l’orgueil secret de son cœur. Ce chef-d’œuvre de faïence représentait un gros homme en culottes courtes de drap blanc et coiffé d’un chapeau à trois cornes ; d’une main il soutenait la pipe placée entre ses lèvres au large sourire ; l’autre, appuyée sur sa hanche, formait la poignée du vase. L’arrivée de « Joby » — c’était le nom du gentleman en terre cuite, — fut saluée d’une acclamation générale. Une grande cuvette de porcelaine remplie de grog fit en même temps son apparition, et le joyeux mari de Molly, suppléant à l’absence de son beau-père, eut soin que l’un et l’autre vase fussent vidés en peu d’instants. Une gaieté familière régna dès lors dans l’assemblée.

Kinraid était trop bien trempé pour avoir rien à craindre des rasades les plus nombreuses. Philip, au contraire, avait la tête un peu faible, et s’abstenait soigneusement de trop boire. Ces deux personnages demeurèrent donc à peu près dans les mêmes conditions qu’au début de la soirée. Sylvia était reconnue de tous points « la belle de la réunion » et traitée en conséquence. Pendant le Colin-Maillard, c’était elle, invariablement, qu’on tâchait de saisir. Dans tous les jeux où il y avait une mission à remplir, c’était elle qui en était chargée, chacun aimant à voir sa jolie taille et ses prestes allures. Peu à peu, le plaisir que tout ceci lui causait surmonta sa timidité naturelle et la mit à l’aise avec tous, si ce n’est avec Charley. Aux com-