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quelque faveur à Sylvia, et sans savoir au juste pourquoi elle venait ainsi chercher refuge auprès de lui dès le début de la soirée, il lui fit l’honneur de l’interpeller directement à deux reprises différentes. Leur dialogue, au reste, ne fut pas long :

« Papa fume, n’est-il pas vrai ? dit le vieillard.

— Oui, répondit Sylvia.

— C’est bien, fillette : passez-moi la boîte à tabac. »

Pas une parole de plus ne fut échangée pendant un gros quart d’heure.

Mais Sylvia, si bien abritée qu’elle fût, se sentait sous le regard d’une paire d’yeux qui la contemplaient avec une admiration enthousiaste. Dans quelque direction qu’elle portât les siens, elle voyait avant toute chose ces deux prunelles ardentes. Une autre paire d’yeux, ceux-ci n’étaient ni si beaux ni si brillants, — profondément cachés sous leurs orbites, sérieux, tristes, même un peu sombres, guettaient ses moindres mouvements ; mais de ceci elle n’avait pas conscience. Philip, dont elle avait refusé la main qu’il était venu lui présenter aussitôt entré, lui gardait encore quelque rancune de cette rebuffade dont le motif lui échappait et, debout auprès d’une jeune personne à qui mistress Corney l’avait spécialement recommandé, cherchait en vain quelques lieux communs pour ne pas laisser tomber la conversation qu’il avait avec elle. Il regrettait déjà, dans le désarroi de son esprit, de ne pas être allé se mêler à ces jeunes fermiers avec lesquels il n’avait rien de commun, et qui groupés autour de la porte, paralysés par leur timidité rustique, gardant un silence de mort, attendaient pour se mettre à l’aise l’arrivée de quelques liqueurs plus encourageantes que le thé.

Au coup de huit heures, cependant, le fermier Corney quitta son siége pour s’aller mettre au lit, comme si de rien n’était. Il avait été convenu, avec sa femme, qu’elle